Pilotage de stratégie d’entreprise : retour d’expérience sur la méthode OKR en France

Pilotage de stratégie d’entreprise : retour d’expérience sur la méthode OKR en France

Le 15 avril 2022

Raphaël Kattan (TalenCo)

Dans un contexte volatile et incertain, il est essentiel de transformer le pilotage stratégique de l’entreprise. Pour aider les entreprises à passer de la vision à l’exécution de leurs stratégies, TalenCo accompagne les dirigeants et leurs équipes avec la méthode OKR (Objectives & Key Results) depuis 2018.

Raphaël Kattan, Directeur Général Associé de TalenCo et expert OKRMentors, nous livre son retour d’expérience sur les OKR en France.

Qu’est-ce que la méthode OKR et comment impacte-t-elle le pilotage stratégique ?

RK : La méthode des OKR est en quelque sorte l’extension du management par objectifs des années 1950. C’est une méthode assez logique et simple à comprendre pour aligner et recentrer toute l’entreprise sur les bonnes priorités d’action, impliquer l’ensemble de la ligne hiérarchique, générer de l’engagement, responsabiliser et mieux piloter les projets.

Il s’agit d’exprimer, à la tête de l’entreprise et pour chaque équipe, quels sont les 2 à 4 objectifs à poursuivre : une ambition à moyen terme – 4 ou 5 ans – qui a pour vocation d’inspirer les équipes.
Puis, pour chacun de ces objectifs, il s’agit de définir 2 à 4 Key Results (KR) qui montrent, à plus court terme (souvent sur le prochain trimestre), à quoi on va mesurer qu’on est en train de cheminer vers l’objectif. De ces résultats clés mesurables découlent les propositions de plan d’action des équipes pour la période suivante.

Les Anglo-Saxons ont sans doute vu plus tôt que les latins l’intérêt de ce type de méthode, qui a d’ailleurs déjà fait ses preuves aux Etats-Unis comme chez Google. C’est peut-être pour cela qu’en Europe et en France, elle tarde encore à prendre de l’ampleur.

Je pense qu’il fallait aussi infuser un état d’esprit un peu plus agile dans nos entreprises, que les dirigeants incarnent et comprennent ce nouveau mindset et ensuite adoptent une méthode qui reste proche de l’Agile, qui se marie bien avec des process et des méthodes agiles dans l’organisation.

Schéma de construction d'un OKR
Matrice OKR

Comment expliquez-vous l’intérêt croissant des entreprises, notamment en France, pour les OKR ?

RK : On constate effectivement, depuis 2020, un vrai engouement pour les Objectives & Key Results en Europe et plus particulièrement en France. Et ça concerne des entreprises de toutes tailles et de tous secteurs. Parmi nos clients au sein du CAC 40, on peut citer Renault Group, Société Générale, Veolia Eau, Michelin…
Outre certaines licornes françaises, il y a aussi beaucoup d’enseignes qui utilisent les OKR, telles que Leroy Merlin et Décathlon, et bien sûr de nombreuses ETI et PME. Nous accompagnons même une municipalité dans la mise en œuvre des OKR !

Le contexte de la crise sanitaire, de l’augmentation massive du télétravail et de l’instabilité géopolitique y est sûrement pour beaucoup. Actuellement, il est probablement plus simple d’avoir une vision à l’horizon 2030 que de savoir précisément ce qu’il va nous arriver dans les 2 ou 3 prochains mois. Les OKR aident à fixer à la fois ce cap long terme, tout en engageant chaque collaborateur sur les bonnes priorités chaque trimestre. En outre, cet alignement est encore plus nécessaire lorsque les équipes ne se voient pas au quotidien au bureau.

Quand on connaît l’efficacité de la méthode OKR, on ne peut que se réjouir de cet engouement pour que les entreprises accélèrent et réussissent leur transformation.

La méthode des Objectives & Key Results est-elle adaptée à toutes les entreprises ?

RK : Les OKR sont faits pour tout le monde, sous réserve qu’il y ait une vraie dynamique de transformation et de croissance d’entreprise. Que ce soit un grand groupe qui doit se transformer ou changer de business model, ou une startup qui doit doubler son chiffre d’affaires tous les six mois, ou encore une entreprise intermédiaire qui est dans un environnement très mouvant, la méthode OKR a du sens dans une logique d’alignement stratégique !

D’une manière un peu plus tactique et par extension, les Objectives & Key Results peuvent servir pour des Directions ou des Business Units qui sont dans des phases de transformation de fond et qui doivent impulser des changements majeurs.

Un conseil pour toutes les organisations qui voudraient se lancer dans les OKR : il faut que les dirigeants commencent par affiner la raison d’être sinon ça ne peut pas fonctionner ! La méthode OKR est un formidable traducteur opérationnel de la raison d’être : quand celle-ci n’est pas assez solide, n’est pas verrouillée, on n’arrive pas à construire les OKR et on tourne en rond.

Quels sont les freins à l’adoption de la méthode OKR en entreprise ?

RK : La transparence peut être un frein. Moins cependant que ce qu’on imaginait au départ quand on a décidé de déployer les OKR en France… Nous pensions que cette transparence nous serait opposée par chaque Comité de Direction, mais ce n’est pas le cas.

Souvent, le plus compliqué pour des dirigeants, c’est d’être dans une véritable démarche collaborative. Chez TalenCo, on aime bien prendre un temps pour préparer en amont une première version des OKR de l’entreprise et du CoDir qu’on appelle « une brique à casser » avec le dirigeant, qui doit accepter de jouer le jeu et d’être challengé par son Comité de Direction : c’est un acte de leadership.

Il est donc primordial de s’accorder très clairement au préalable sur les règles du jeu. Si le dirigeant n’est pas prêt à fonctionner comme ça, il faut qu’on soit capable de dire que la méthode n’est pas adaptée pour son entreprise.

Ensuite, si la méthode est très simple à appréhender de prime abord, elle est assez exigeante dans sa mise en œuvre. Notamment lorsqu’il s’agit de définir des Key Results. Trouver le bon indicateur, qui prouve qu’on est en train de cheminer vers l’objectif et qui responsabilise les équipes sur l’élaboration d’un plan d’action, n’est pas toujours la tâche la plus aisée. Mais quand c’est le cas, la magie opère instantanément !

Enfin, construire ses premiers OKR est plutôt amusant et engageant, mais le véritable enjeu consiste à manager avec les OKR.
La clé, c’est la capacité à insérer les revues régulières des OKR, les discussions et les rétrospectives trimestrielles dans les rituels de chaque équipe. L’énergie passée sur cette étape conditionne grandement l’adoption de la méthode au sein de l’entreprise.
Le rôle du manager leader est évidemment primordial pour impulser la démarche. Il doit également faire évoluer sa posture pour être au service de la réussite des Key Results de l’équipe… et non dans une logique de sur-contrôle.

« Si la méthode est très simple à appréhender de prime abord, elle est assez exigeante dans sa mise en œuvre. Trouver le bon indicateur (…) n’est pas toujours la tâche la plus aisée. Mais quand c’est le cas, la magie opère instantanément ! »

Comment les OKR sont-ils généralement accueillis dans l’organisation ?

RK : La première bonne surprise, c’est toujours la réaction des dirigeants quand on leur présente les OKR, alors qu’ils ont déjà testé plein d’autres méthodes de pilotage de la performance, de gestion des priorités stratégiques de l’entreprise, etc. On voit des étincelles dans leurs yeux !

J’ai le souvenir d’un dirigeant d’une grande mutuelle qu’on accompagne depuis des années qui a bondi de sa chaise, qui voulait presque passer les slides à ma place pour aller plus vite tellement il était bluffé de la méthode ! Ou encore un DRH d’un grand groupe allemand de cosmétiques, qui devait porter la transformation digitale de son groupe, qui a décidé de la présenter sous forme d’OKR car il n’avait jamais vu une méthode aussi efficace…

Étonnamment, quand on arrive avec cet entrain auprès des membres du CoDir, on a parfois, à l’inverse, une réaction de méfiance. Mais la deuxième bonne surprise arrive généralement une fois qu’on a présenté la méthode et déroulé les OKR de l’entreprise. Tous veulent déployer rapidement auprès de leurs équipes, en voulant parfois aller plus vite que la musique. 🙃

Que conseillez-vous pour se lancer dans le déploiement des OKR ?

RK : Le premier conseil serait de lire le livre « Mesure what matters » de John Doerr, le père fondateur des OKR, qui permet de bien comprendre l’esprit de la méthode. Mais il ne faut pas forcément l’appliquer à la lettre parce que les exemples utilisés sont très centrés sur les startups de la Silicon Valley. Il faut se permettre d’adapter la méthode à la culture française et à celle de l’entreprise.

C’est là où notre expérience permet d’aider. Bien déployer les OKR, ça demande un accompagnement (d’où notre solution sOKRat®) pour s’assurer que la méthode est bien utilisée, que les objectifs ressemblent à des objectifs et les Key Results à des Key Results. Il est important de connaître le marché et le sujet de nos clients, leurs activités, en quoi ce qu’ils écrivent dans les OKR est véritablement transformant…

Il est indispensable aussi que les OKR soient compréhensibles par tous dans l’entreprise, qu’ils soient porteurs de sens, ce qui nous amène parfois à poser des questions, demander d’expliquer, de reformuler… Rendre les objectifs très inspirants, faire en sorte qu’ils donnent envie aux équipes de se lever tous les matins, ce n’est pas toujours simple.

Pour terminer, y a-t-il un secret pour réussir ses Objectives & Key Results ?

RK : Il n’y a pas de pattern commun. Certaines personnes s’y mettront très facilement et comprendront vite la démarche, d’autres auront un peu plus de mal et parfois… c’est contre-intuitif.

Par exemple, chez Renault, j’ai vu une Direction financière où les OKR se sont faits de manière simple et très naturelle, et dans d’autres entreprises, j’ai vu des Directions produits, qui devraient être – normalement – les premières à être très inspirées par ce type de schéma, où ça a pris du temps, avec beaucoup d’itérations…

C’est une alchimie qu’il faut trouver. On ne peut pas réduire le temps, c’est comme la pâte à crêpes, il faut laisser reposer un peu entre deux workshops pour que ça prenne vraiment. Chaque mot compte et c’est important de prendre ce temps.

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