[Interview] Transformation des entreprises de services : les OKR au cœur des stratégies chez Ulys

[Interview] Transformation des entreprises de services : les OKR au cœur des stratégies chez Ulys

Le 16 juillet 2024

Notre série d’interviews de décideurs sur les priorités stratégiques des entreprises et leurs enjeux de transformation dans un contexte incertain se poursuit avec Damien Joannes, Directeur Général de Ulys, qui témoigne des transformations en cours dans le groupe industriel et l’importance de l’intelligence collective.

Filiale de VINCI Autoroutes, la société Ulys est un leader européen des services de mobilité. Connue pour les badges de télépéage, l’entreprise connecte ses clients aux infrastructures de mobilité, principalement des autoroutes mais aussi des parkings, des bornes de recharge électrique, des stations essence dans le futur… L’entreprise s’appuie sur les talents de 400 collaborateurs au service de 6 millions d’utilisateurs.

Damien Joannes, Directeur Général de Ulys (VINCI Autoroutes)

Comment identifiez-vous et évaluez-vous les challenges majeurs auxquels Ulys doit faire face dans un contexte incertain ?

D.J. Dans un monde qui est changeant, de plus en plus en profondeur, de plus en plus rapidement, une entreprise, pour être pérenne et connectée aux marchés sur lesquels elle opère, doit intégrer cette composante d’incertitude dans son ADN, dans ses process et dans sa manière d’opérer.

Pour Ulys aujourd’hui, cette incertitude est moins liée aux grands changements mondiaux, climatiques, géopolitiques (« polycrises ») qu’à l’évolution d’une activité essentiellement française et autour d’un asset, l’autoroute, dont les impacts sont pérennes par nature.

En revanche, il est certain que nous sommes percutés par un certain nombre d’éléments extérieurs. Le premier, c’est un changement du paysage concurrentiel, des évolutions du marché, de nouveaux entrants qui arrivent sur notre marché principal avec des logiques différentes de services, de prix, de manière d’opérer…

Donc ça, c’est la première chose qu’on regarde très attentivement par des process de veille concurrentielle, des process de l’analyse stratégique, de d’évolution de marché.

Quels enjeux distinguez-vous alors sur vos services, et quels sont les facteurs de changement qui viennent les impacter ?

D.J. La difficulté d’Ulys, c’est que nous sommes sur des services de mobilité au sens large qui répondent chacun à leur propre logique de marché. De manière très concrète, Ulys, c’est du parking, de l’électrique et du télépéage, mais le marché de l’électrique a des dynamiques et des logiques qui sont bien différentes de celles du télépéage.

Nous, on le voit avec un seul prisme : celui de la simplification pour l’utilisateur final. Mais en pratique, la réponse va être différente en fonction du marché sur lequel on se positionne !

Sur le marché du télépéage, on doit se préparer à une ouverture concurrentielle, à la suite d’un changement de cadre législatif impulsé par une directive européenne.

Sur le marché de la recharge électrique, pour les véhicules électriques, on doit faire face à un certain nombre de difficultés importantes :

  • La première difficulté, c’est que c’est un marché peu mature, donc ultra changeant, sur lequel il y a un déficit de régulation, d’organisation et des acteurs qui avancent de manière peu coordonnée. Dans cet environnement, il faut investir pour se positionner de manière cohérente et légitime, tout en anticipant les évolutions de marché imprévisibles pour garantir la pertinence de ce positionnement à long terme.
  • La deuxième difficulté, c’est le paysage concurrentiel de ce marché qui est très ouvert, voire « erratique ». Il est donc compliqué d’évaluer ses évolutions en raison de la diversité de ses acteurs : des énergéticiens comme EDF, des groupes comme Total Énergie, des constructeurs automobiles offrant des cartes de recharge, et industriels installant des bornes… Chaque acteur a des logiques et des dynamiques de marché différentes.

Comment vous assurez-vous de rester assez agile et capable d’adaptation tout en préservant votre ADN et vos valeurs ?

D.J. C’est compliqué.

Il ne faut pas prendre le changement comme une contrainte, mais avoir intégré que le monde est changeant et qu’on a besoin d’une capacité d’adaptation constante.

Comme un grand bateau, plus l’organisation est complexe et grande, plus c’est compliqué de virer de bord et de manœuvrer. La stratégie que nous avons adoptée est la suivante :

⬜ On a d’abord défini une vision et une ambition à long terme qui est claire, bien comprise et bien communiquée en interne et en externe. C’est notre boussole : libérer nos clients des contraintes de la mobilité en interconnectant des infrastructures de mobilité et des clients.

⬜ Ensuite, pour fixer et ajuster le cap, on définit un plan à 3 ans, et mis à jour tous les ans, qui définit autant d’escales vers notre mission. Chaque année, on ajuste la trajectoire financière, les leviers de croissance et les « enablers » dont on a besoin pour atteindre ces leviers et notre mission.

⬜ Nous avons également des rendez-vous annuels qui prennent la forme de « budgets » teintés d’une réflexion stratégique qui sont autant de sous-étapes de nos grandes escales du plan à trois ans.

⬜ Enfin, pour nous assurer de la bonne exécution du plan stratégique, nous avons déployé les OKR (Objectives & Key Results) chez Ulys. Les Key Results (résultats clés) sont tantôt à l’année, tantôt au trimestre pour être certain qu’à tous les niveaux de la société et au niveau de chaque collaborateur, on se rende compte qu’on a un impact et que cet impact est cohérent avec le budget, l’étape à 1 an et le plan à 3 ans.

En somme, notre organisation, bien qu’elle semble rigide, est conçue pour être flexible et réactive, nous permettant de naviguer efficacement dans un monde en constante évolution.

Cette structure nous permet de :

  1. Nous assurer que toutes nos actions ont un impact cohérent avec notre mission, notre vision et nos escales.
  2. Ajuster notre cap trimestriellement en modifiant les KR d’une équipe pour répondre aux besoins changeants.
  3. Mettre à jour notre plan à 3 ans en cohérence avec notre vision, évitant ainsi de gaspiller du temps et des ressources.

Quelle stratégie avez-vous mise en place pour nourrir ce mindset agile et pour soutenir vos équipes face à un changement permanent ?

D.J. On peut avoir la meilleure stratégie sur Powerpoint et la formaliser de la meilleure des manières, ça reste un Powerpoint. En revanche, pour onboarder l’ensemble des équipes vers cette mission, cette vision et ensuite industrialiser les actions pour que ça devienne un réflexe intégré dans les différentes actions des collaborateurs, c’est autrement plus compliqué.

Pour impulser un changement, une transformation, il faut rentrer non seulement dans la tête mais aussi dans le cœur des gens.

C’est très important de donner du sens, de donner un cap et ça permet à l’ensemble des collaborateurs, quelle que soit l’organisation, sa taille, sa complexité et le type de marché sur lequel elle opère, d’enlever les frustrations, de comprendre pourquoi ils travaillent et d’en évaluer aussi leur impact. C’est la première raison.

La deuxième raison, c’est la définition de valeurs de l’entreprise qui ensuite vont elles-mêmes être déclinées en un certain nombre de preuves, d’actions et qui vont devenir petit à petit une culture. La définition des valeurs est fondamentale. Elles permettent de renforcer la manière, la liberté d’action, avec laquelle on va arriver à cette mission, à cette vision de l’entreprise.

C’est aussi pour cette raison qu’on a mis en place la méthode OKR. Cette méthode responsabilise les collaborateurs qui vont eux-mêmes fixer et mesurer leurs Key Results (résultats clés). Cela est rendu possible parce qu’on a un cadre clair, une vision bien comprise, des valeurs qui sont bien identifiées et une définition des responsabilités qui est claire dans l’organisation.

Avez-vous un exemple concret de programme mis en place pour développer les compétences de vos équipes ? Et comment recrutez-vous vos talents ?

D.J. On est aujourd’hui dans une période d’hyper croissance qui nécessite pas mal de recrutements. On a beaucoup travaillé sur les critères de recrutement en termes d’attitude, une attitude cohérente avec l’ADN et les valeurs d’Ulys : conquérante, énergique, non réfractaire au changement, une attitude très collaborative, un esprit d’équipe très développé… C’est primordial !

On peut former sur les skills, mais l’attitude, elle, est innée, elle ne se change pas.

Pour l’accompagnement des équipes, on travaille sur des plans de formation qui ont une double fonction. La première, c’est de valoriser les personnes qui composent l’organisation. Ça a un aspect à la fois managérial mais aussi un aspect très concret de montée en compétence sur un certain nombre de skills nécessaires aux différents collaborateurs.

Parmi ces skills nécessaires pour la conduite du changement, il y a bien sûr l’attitude qui est fondamentale, le niveau de digitalisation, c’est évident. Il faut aussi des bonnes capacités de gestion de projets qui sont fondamentales étant donné qu’on doit transformer l’entreprise.

Aujourd’hui, chez Ulys, nous avons de bonnes capacités de gestion de projet pour organiser tout ce changement, pour garder nos ressources et optimiser l’efficacité de nos équipes dans la gestion du changement pour faire pivoter ce paquebot.

Quels sont selon vous les principaux challenges qui auront une répercussion forte sur votre stratégie dans les mois ou les années à venir ?

D.J. Le premier challenge, c’est l’enjeu environnemental, c’est évident. Ça va percuter tous les business models, toutes les industries. L’intégration de l’enjeu environnemental, quelle que soit l’entreprise, quelle que soit l’industrie sur laquelle on opère, va être un facteur de changement très profond et très rapide, c’est indéniable.

Deuxièmement, je pense que la vision du travail par les collaborateurs, notamment les nouvelles générations, a déjà grandement changé, elle va changer de plus en plus et s’accentuer. On voit déjà des changements : l’augmentation du nombre d’indépendants par exemple, le rapport au travail, le rapport au temps (on parle de la semaine de quatre jours), le sens que les entreprises sont capables de donner aux collaborateurs, la cohérence entre la vie privée et la vie professionnelle…

Enfin, troisièmement, on a des changements de paysage concurrentiel et de dynamiques de marché qui vont être percutés par des évènements externes : des crises géopolitiques, la dérégulation, la digitalisation qui fait sauter les barrières à l’entrée de n’importe quel marché…

Propos recueillis en avril 2024 par Cyrille Chaudoit, Cofondateur de TalenCo, en préparation de notre livre blanc sur les leviers de transformation des entreprises dans l’incertitude. Un grand merci à Damien pour son témoignage !

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