[Interview] Audiovisuel : la transformation des filiales de France TV pour accélérer la croissance

[Interview] Audiovisuel : la transformation des filiales de France TV pour accélérer la croissance

Le 29 juillet 2024

Nous poursuivons nos interviews de décideurs sur les priorités stratégiques des entreprises et leurs enjeux de transformation dans un contexte incertain avec Arnaud Lesaunier, PDG de france.tv studio et de France tv distribution, qui témoigne des transformations en cours dans les filiales du groupe audiovisuel.

France.tv studio, studio de production audiovisuelle, et France tv distribution, entité d’édition, distribution et diversification, sont des filiales du groupe France Télévisions. Premier groupe audiovisuel français en audience, France Télévisions gère les activités de la télévision publique à travers les chaînes France 2, France 3, France 4, France 5, France Info, etc. et la plateforme numérique d’accès aux programmes France.tv.

Arnaud Lesaunier, Président Directeur Général de france.tv studio et de France tv distribution

Quels sont le contexte et les challenges pour le secteur de l’audiovisuel aujourd’hui ?

A.L. Le secteur de l’audiovisuel et de la consommation vidéo se porte plutôt bien, notamment grâce à la multiplication des éditeurs et des canaux de distribution, ce qui nécessite davantage de contenus.

Bien que la consommation de la télévision traditionnelle soit en baisse, d’autres moyens, comme les terminaux mobiles, sont en forte croissance.

Ces dernières années, les budgets et la qualité des productions ont augmenté avec l’arrivée de nouveaux acteurs comme les plateformes de SVOD internationales, ce qui a aussi augmenté les coûts de fabrication et la qualité attendue.

Cependant, le secteur connaît actuellement un retournement en raison de contraintes budgétaires et d’enjeux liés à la responsabilité sociale des entreprises (RSE). De plus, l‘impact des nouvelles technologies, notamment l’intelligence artificielle (IA), suscite beaucoup d’interrogations et d’attention de la part des acteurs du secteur.

Quels sont les enjeux majeurs auxquels france.tv studio et france tv distribution doivent faire face dans ce contexte ?

A.L. Concernant les enjeux de nos métiers de production, il faut en premier lieu savoir suivre les tendances, faire les bonnes propositions créatives qui répondent aux attentes des éditeurs et principalement de France Télévisions.

On doit également maîtriser notre qualité et nos coûts de production tout en satisfaisant aux enjeux de RSE. Notre secteur est considéré comme relativement polluant et nous concentrons nos efforts depuis longtemps sur tous les éléments qui peuvent concourir à réduire l’empreinte de nos activités.

Et puis, nous nous préparons au « bang » technologique [de l’intelligence artificielle] en essayant d’en faire une opportunité, que ce soit dans la fabrication ou la présentation de nos propositions créatives, dans d’autres activités connexes comme le sous-titrage qui peuvent être fortement impactées par l’IA et, du coup, devenir un atout !

Sur le strict plan du « business », nous nous renforçons par un développement stratégique dans des domaines où nous sommes légitimes et où nous créons immédiatement de la valeur ajoutée. Dans le contexte économique actuel, il y a des opportunités de marché qu’il serait assez facile de saisir, mais au risque de se disperser. Ce n’est pas notre choix. Nous, nous essayons justement de capitaliser sur ce qui fait notre force, par l’acquisition de technologies, de compétences, qui peuvent avoir un effet immédiat sur la qualité de notre production et sur notre performance.

Sur le plan de la culture d’entreprise, nos enjeux sont de renforcer notre ADN de service public en donnant du sens à nos actions et notamment dans le cadre de nos projets en nous associant à de plus petits producteurs pour leur permettre de faire valoir leur créativité en s’adossant à un acteur un peu plus conséquent qu’est France tv studio.

Donc travailler sur la culture de l’entreprise et renforcer ce qui nous différencie : la référence à la mission de service public est un élément très fort au sein de France Télévisions, même si nous sommes une structure totalement privée, que nous ne percevons pas de contribution publique et que notre seul revenu est celui de nos activités.

Parmi les facteurs de changement qui vous impactent le plus, vous évoquez la RSE. Comment activez-vous ce levier ?

A.L. Quand on parle RSE, on a parfois tendance à restreindre les enjeux autour des questions environnementales. Bien évidemment, les questions environnementales sont adressées, mais pas seulement !

Nous avons travaillé à la fois sur la gouvernance, sur le climat social, sur la relation à la représentation du personnel, sur la diversité de nos effectifs, diversité de genre ou d’origine mais aussi diversité générationnelle, etc.

En ce qui concerne les enjeux environnementaux, pour limiter les impacts, nous avons travaillé sur la conception et l’utilisation des outils, notamment les plateaux de tournage. Dans le cadre d’un projet de construction de nouveaux studios, des principes d’éco-conception sont appliqués, incluant l’utilisation de l’énergie solaire et de matériaux à faible consommation énergétique.

Le groupe France Télévisions s’est doté de studios à Vendargues, près de Montpellier, qui sont très à la pointe en matière d’impact environnemental, en travaillant sur la réduction des flux énergétiques, en optimisant l’éclairage, la climatisation et les serveurs, le traitement des déchets… Bien que ces investissements soient coûteux, ils conduisent à une production plus durable avec un retour sur investissement potentiellement très positif.

Cet engagement environnemental permet d’en faire un axe de communication en interne au sein de l’entreprise et de responsabilisation des équipes. Cela rejoint également nos engagements de service public et nous permet, dans un contexte d’incertitude, d’avoir un cap assez clair, bien défini qui est d’être un acteur de référence sur ces enjeux RSE.

Pouvez-vous nous donner un exemple concret d’une transformation majeure en cours dans les filiales de France Télévisions ? 

A.L. L’exemple que je pourrais prendre, c’est celui qui consiste à adapter l’entreprise à sa très forte croissance des dernières années et à la préparer à la poursuite de cette croissance.

Ce projet de transformation peut paraître surprenant, mais partant du principe que c’est toujours mieux de conduire les changements quand les entreprises vont bien, c’est un projet auquel on s’est aujourd’hui attelé.

France.tv studio – mais c’est vrai aussi de france tv distribution – a connu une croissance assez soutenue ces trois ou quatre dernières années, sans toujours prendre le temps d’adapter son organisation, ses processus de travail à cette évolution sensible de son volume d’activité, de son chiffre d’affaires, de ses effectifs…

Nous avons dû nous adapter à cette forte croissance de manière réactive, en faisant quelques ajustements, mais ce faisant, on a pris conscience qu’on était au bout d’un modèle et qu’il fallait le repenser.

Aujourd’hui donc, notre principal enjeu de transformation c’est de repenser, de restructurer la manière dont nous travaillons, en tenant compte des différents niveaux de responsabilité, des finances de plus en plus contraintes, des exigences accrues en matière de RSE et des impacts de la technologie, notamment de l’IA.

Le cœur de notre démarche est d’adapter l’entreprise pour qu’elle puisse continuer sa croissance, malgré le contexte changeant et incertain du secteur.

Dans ce contexte de transformation, comment assurez-vous le passage de la vision stratégique à son exécution opérationnelle ?

A.L. En réponse aux incertitudes du moment, la première chose est de dresser des objectifs très clairs. Plus l’environnement est flou, plus les équipes ont besoin de clarté dans les objectifs ou directions qui sont donnés ou, à l’inverse, dans les « interdits » posés.

Pour ce qui est des équipes justement, la croissance de l’entreprise a fait que les effectifs ont doublé passant d’une centaine de personnes à presque 200 collaborateurs permanents, auxquels s’ajoutent le recours à des collaborateurs non permanents et environ 5 000 personnes embauchées chaque année pour concourir à nos activités.

Cette situation a profondément modifié les enjeux de gouvernance et de conduite des projets au sein de la structure. Nous avons donc fait le choix de revoir la gouvernance.

Cela consiste à passer d’un comité de direction classique, rassemblant les N-1, à une gouvernance duale qui va distinguer :

  • un comité de direction rassemblant quelques personnes dotées d’une vision stratégique de l’entreprise et d’une capacité à élaborer les éléments tactiques pour la mettre en œuvre,
  • un comité managérial élargi rassemblant une quarantaine de personnes, managers, capables de porter ces éléments tactiques et de les transformer en décisions managériales au quotidien.

La ligne managériale intermédiaire permet d’avoir des capteurs de terrain beaucoup plus efficaces, de mieux percevoir l’entreprise, d’avoir un retour plus immédiat et franc sur ses décisions.

Cette ligne managériale intermédiaire permet aussi de vous ancrer dans la réalité de terrain, autour des talents qui sont les nôtres. En quelque sorte, c’est avoir les pieds bien ancrés au sol et la tête dans la prospective qui assure notre stabilité pour mieux prendre le vent du changement.

Avez-vous mis en place un dispositif d’accompagnement pour acculturer, soutenir, former vos managers et vos équipes ? 

A.L. En l’occurrence, nous avons réuni les équipes managériales fin juin 2024 pour un séminaire d’une journée. C’est la première fois qu’ils étaient associés à cet exercice qui, jusqu’à présent, était mené en comité plus restreint.

En partant de la vision et des objectifs définis par le Top Management, synthétisés en 5 points d’horizon assez clairs, nous avons fait travailler les équipes [de managers] pour définir le chemin qui va nous mener à cette vision et sur la feuille de route à suivre.

En résumé, ils ne choisissent pas la destination en termes d’objectifs, mais le ou les moyens de la rallier. C’est un exercice assez nouveau, un enjeu de ligne managériale, de déconcentration de la capacité de décider et de mener les actions, qui semble motiver et mobiliser les équipes.

Pour que l’exercice soit pleinement efficace, cela suppose de mettre l’ensemble des participants et des contributeurs à un même niveau de savoir et donc de permettre l’accès à des éléments d’informations que tous n’ont peut-être pas. C’est un préalable pour travailler efficacement avec chacun.

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Et puis, plus généralement, nous essayons de travailler sur la formation aux savoirs, parce que la formation technique se fait beaucoup plus naturellement. En effet, nos métiers de la télévision sont relativement récents et poussés par les évolutions technologiques depuis l’origine. Ce sont des métiers qui ont l’habitude de constamment se remettre en cause.

D’ailleurs, les métiers de la production sont, par définition, des métiers de projets. Neuf fois sur dix, les projets de programmes que nous présentons sont refusés. Pour ceux qui sont acceptés, il faut créer l’émission. Une fois qu’elle est réalisée, elle a vocation à durer plus ou moins longtemps, et puis on bascule dans un nouveau projet…

Nos équipes sont donc assez rompues à enchaîner les projets, ce qui évite une certaine forme de conservatisme qui peut s’installer parfois dans notre secteur. Ce n’est pas le cas dans les activités de production ! Nous enchaînons donc des cycles de production, en redémarrant chaque fois de nouveaux projets, mais en capitalisant sur les projets que l’on vient de mener, de réussir ou d’échouer.

Et donc le principe de remise en cause, la notion d’échec, le droit à l’erreur, sont de vrais enjeux dans les périodes d’incertitude. C’est une chose avec laquelle on est assez familier.

Quels sont les axes prioritaires pour aligner les équipes de France.tv ?

A.L. Il y a deux grands axes sur lesquels on fait travailler les équipes.

Démystifier l’intelligence artificielle

Le premier axe, c’est l’intelligence artificielle (IA). Il s’agit de démystifier l’IA, générative et non générative, pour que les équipes comprennent ses capacités et ses limites, ce qu’elle peut apporter à chacun dans son quotidien, permettant ainsi de dépasser les peurs et de proposer des usages pratiques pour améliorer leur travail.

Nous avons fait de l’IA un enjeu de développement de nos activités. C’est pourquoi il est important de mobiliser et sensibiliser l’ensemble des équipes le plus tôt possible autour de ces enjeux incontournables.

Certaines activités pourraient quasiment s’effacer devant l’intelligence artificielle, ce sera sans doute le choix de certains opérateurs sur le marché. Nous, nous considérons à l’inverse qu’il faut faire en sorte de capitaliser sur l’intelligence artificielle de manière à en faire plus – beaucoup plus – avec le même niveau de ressources.

L’objectif n’est pas de substituer la technologie à l’homme, mais de renforcer l’homme par la technologie, notamment dans des domaines comme le sous-titrage et le doublage, mais également dans nos activités de conception de projets, d’écriture…

L’IA est un domaine qui avance très vite, parfois dans le désordre et l’agitation, mais qui laisse entrevoir des opportunités. C’est pourquoi il faut surveiller ses évolutions et bien les comprendre.

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Sensibiliser au pilotage d’entreprise

Le deuxième axe de développement, en ces périodes incertaines, tourne autour de la bonne gestion d’entreprise et du pilotage. Il est crucial de travailler à l’édification de chacun sur la notion d’entreprise, la gestion financière, les indicateurs financiers et opérationnels de pilotage, pour qu’ils comprennent leur importance et leur impact sur les décisions quotidiennes.

L’idée est de combler le manque de compréhension souvent constaté au sein des équipes quand on leur parle de chiffre d’affaires, résultats opérationnels, résultats nets, amortissement, besoins de fonds de roulement, etc. afin que chacun puisse mieux appréhender les enjeux financiers, de gestion et comprendre les choix stratégiques.

Selon vous, quelles sont les clés d’une transformation réussie de l’organisation ?

A.L. Les clés d’une transformation réussie, pour moi, c’est d’abord un terrain de confiance – la confiance de manière générale évidemment, mais aussi la confiance des équipes dans leur direction. Je pense qu’on ne fait rien dans la défiance, dans la crainte, et c’est encore plus vrai dans un contexte économique compliqué.

Permettre à chacun d’avoir un bon niveau de compréhension des enjeux est également une clé de réussite. Il faut que chacun puisse bien appréhender les tenants et aboutissants des décisions qu’on peut prendre, des inquiétudes, mais aussi des enthousiasmes, qu’on peut avoir.

Le climat social est aussi pour moi très important. Si votre relation à la représentation du personnel ne fonctionne pas bien, vous avez beaucoup de mal à faire avancer vos projets.

Enfin, assez paradoxalement, je dirais que dans les clés de réussite d’une transformation, la capacité à douter, à ne pas embarquer trop de certitudes, est un élément fondamental.

On ne transforme bien que si on est habité à la fois par la conviction qu’on va y arriver, mais aussi par le doute qui permet de requestionner des évidences. Au doute, j’associe le droit à l’erreur et le droit à l’échec sans lesquels c’est très difficile de tenter les choses.

Donc si je devais résumer, les clés de réussite d’une transformation, c’est avant tout de préparer un terrain qui facilite le changement : le climat social, la confiance, le fait que les équipes puissent savoir que se tromper est un droit et que l’échec n’est pas une fatalité. A partir de là, on a toutes les chances d’y arriver !

Propos recueillis en mai 2024 par Cyrille Chaudoit, Cofondateur de TalenCo, à l’occasion de notre livre blanc sur les leviers de transformation des entreprises dans l’incertitude. Un grand merci à Arnaud pour son témoignage !

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