La méthode OKR (objectifs et résultats clés) permet de définir des objectifs clairs et mesurables pour améliorer la performance de l’entreprise et l’alignement des équipes. Mais comment ancrer la pratique OKR dans la durée pour qu’elle irrigue vraiment toute l’organisation ? Et comment maintenir l’énergie des équipes après l’enthousiasme initial ?
La pérennisation des OKR en entreprise, au-delà de la phase de lancement, est un défi majeur. Les retours d’expérience mettent en lumière l’importance de bâtir et structurer une communauté interne, avec des rôles clés comme les « OKR Champions », coordinateurs ou ambassadeurs, indispensables pour diffuser la méthode, casser les silos et créer une culture d’alignement.
Dans le cadre de l’OKR Forum France 2025, Cyrille CHAUDOIT, Cofondateur de TalenCo, a recueilli les témoignages de deux experts de la méthode OKR dans leurs entreprises respectives : Calaivany Sachidhanandam (WALLIX Group) et Lionel Quenet ( Groupe Rocher).
Au travers de cette table ronde, ils nous livrent leurs expériences concrètes, leurs bonnes pratiques, les défis rencontrés ainsi que leurs conseils pour pérenniser la démarche OKR.
Sommaire
- Le choix de la méthode OKR au service du déploiement stratégique
- Animer une communauté de champions OKR pour la pérennité de la méthode
- Instaurer des rituels et outils pour faire vivre les OKR dans le temps
- Assurer la cohérence et l’alignement des OKR
- Défis et conseils pour bien intégrer les OKR
- Conclusion : les clés pour faire vivre une communauté OKR
Le choix de la méthode OKR au service du déploiement stratégique
Comment les OKRs sont-ils arrivés dans vos organisations ?
Lionel Quenet : Les OKR sont arrivés dans un contexte de changement de gouvernance, avec une nouvelle équipe de direction qui avait besoin d’une méthode cohérente pour piloter les priorités, fixer un cap clair et aligner toute l’organisation.
La méthode des OKRs s’est avérée très puissante pour organiser ce travail d’alignement et de priorisation. Nous avons donc décidé de la déployer de manière systématique, en partant du sommet de l’organisation et en descendant progressivement à tous les niveaux, partout dans le monde.
Calaivany Sachidhanandam : La démarche OKR a été initiée par le comité de direction pour faciliter l’exécution de la stratégie. Après une phase de consolidation de cette stratégie avec l’aide d’un coach externe, la méthodologie OKR a été présentée et adoptée.
Les premiers OKR ont été définis au niveau de l’organisation avec des objectifs et résultats clés associés. J’ai ensuite été désignée comme pilote OKR pour accompagner le déploiement, notamment en animant les ateliers de définition des initiatives.
Animer une communauté de champions OKR pour la pérennité de la méthode
Quels conseils pour structurer une véritable communauté d’animation autour des OKR ?
Lionel Quenet : Lorsque nous avons décidé de déployer les OKR de façon systématique, nous avons très vite réalisé qu’il ne suffisait pas d’avoir un sponsoring fort de la direction et de former les managers. Ces éléments sont essentiels mais ne garantissent pas que la démarche soit vivante dans le temps.
Pour faire vivre les OKR, il fallait un maillon supplémentaire : un réseau de coordinateurs OKR. Ces coordinateurs, que nous appelons « champions », sont des relais en profondeur dans l’organisation, capables d’aider sur la méthode, la formation, mais aussi sur l’animation de la culture OKR. »
Calaivany Sachidhanandam : Chez Wallix, dès le départ, nous avons intégré cette idée dans la stratégie de déploiement. Mon expérience en conduite du changement et mon rôle de responsable qualité m’ont naturellement poussé à structurer un réseau de relais opérationnels.
Comme les OKR allaient être déployés à toute l’échelle de l’organisation, il était important d’inclure les contributions de tous, pas seulement des managers.
J’ai donc cherché à identifier des ambassadeurs et facilitateurs capables de conduire les ateliers et de promouvoir la démarche. »
Comment avez-vous réussi à impliquer les équipes et à dépasser la vision top-down ?
Calaivany Sachidhanandam : Effectivement, au début, il y avait un certain scepticisme, notamment parce que la démarche semblait venir du comité de direction.
Pour dépasser cela, nous avons impliqué les équipes dans la définition autonome de leurs propres OKR, en les alignant avec ceux du CODIR.
Cela a permis d’ouvrir la démarche, de libérer des bonnes pratiques sur d’autres périmètres et de favoriser les contributions bottom-up. J’ai aussi utilisé mon réseau d’auditeurs internes, qui ont des compétences clés en bienveillance et écoute active, pour animer les ateliers OKR.
Lionel Quenet : La méthode OKR demande une gymnastique régulière : faire des revues trimestrielles, discuter des résultats en équipe, etc. Le plus grand défi est de maintenir cette dynamique dans le temps.
Nous avons donc créé un réseau de champions, qui ne sont pas seulement des formateurs, mais des animateurs de la culture OKR. Ils jouent un rôle clé en battant le tambour, en s’assurant que la méthode est appliquée et vivante, et en faisant évoluer la démarche dans l’organisation.
Comment avez-vous structuré ces rôles clés dans votre organisation ? Quel est le profil des OKR Champions ?
Lionel Quenet : Nous avons identifié un profil type : des collaborateurs ayant des capacités d’animation, sachant poser les bonnes questions et interagir efficacement. Ce rôle est très exposé, avec une forte visibilité, car ils participent à des discussions importantes jusqu’au niveau comité de direction.
« Nos OKR Champions sont identifiés dans chaque direction pour leurs capacités d’animation, de coordination… Ils sont formés, entraînés sur la méthode. On les anime et on les fait témoigner régulièrement ».
Ce sont souvent des collaborateurs à fort potentiel. Ils sont nommés pour une mission d’environ un an à un an et demi, avec un investissement estimé entre 15 et 20 % de leur temps. Ils bénéficient d’une certification externe qui valorise leur engagement et leur employabilité. »
Calaivany Sachidhanandam : Chez nous, c’est un peu différent car nous n’avons pas de budget pour des certifications externes. J’ai donc dû trouver d’autres leviers de motivation, comme la visibilité et la valorisation des compétences.
J’ai sélectionné les pilotes OKR principalement par volontariat, en m’appuyant sur ma connaissance des collaborateurs. Ils sont généralement des facilitateurs, souvent issus des auditeurs internes ou pilotes de processus, capables d’animer des ateliers et de porter la culture OKR.
« Je leur ai proposé d’être observateurs lorsque moi, je facilitais les ateliers de définition par exemple, de voir comment je posais les questions, comment je faisais émerger les idées concrètement, comment je poussais l’interaction et comment je faisais aussi donner la parole à ceux qui occupaient moins l’espace dans les discussions »
Je les vois régulièrement lors de comités de pratique pour partager les expériences et résoudre les obstacles ensemble.
Combien de personnes composent cette communauté OKR dans vos organisations ?
Lionel Quenet : Dans notre organisation, nous avons dix grandes business units, avec un champion OKR identifié par unité. Ce groupe a été renouvelé une fois, portant le nombre à environ une dizaine. Par la suite, la demande est venue des équipes plus opérationnelles, qui ont souhaité avoir aussi leurs coordinateurs locaux.
Au total, nous avons formé et identifié une quinzaine d’OKR champions à différents niveaux.
Calaivany Sachidhanandam : Nous comptons environ 20 à 25 pilotes et champions OKR, soit environ 10 % des collaborateurs. Cette communauté est volontaire et hétérogène, ce qui permet de décloisonner les équipes et d’ouvrir les échanges cross-départements.
Instaurer des rituels et outils pour faire vivre les OKR dans le temps
Quels outils et rituels avez-vous mis en place pour animer cette communauté OKR, notamment en contexte hybride et international ?
Calaivany Sachidhanandam : Nous utilisons un outil dédié au pilotage des OKR qui facilite les check-ins et donne une visibilité en temps réel sur l’ensemble des OKR à tous les collaborateurs, même ceux éloignés géographiquement. Cela simplifie l’animation, surtout en remote.
Nous organisons des rencontres régulières, environ tous les deux à trois mois, pour échanger sur les bonnes pratiques, les difficultés rencontrées et les solutions. Lors des kick-offs annuels, nous profitons de la présence physique pour renforcer les liens.
Lionel Quenet : La communication interne est essentielle. Nous publions tous les OKR des différentes business units sur l’intranet, accessibles à tous. Nous avons aussi un journal interne publié toutes les six semaines, structuré autour des OKR, qui met en avant des exemples concrets de réalisations.
Chaque communication managériale commence désormais par les OKR, qui sont devenus la colonne vertébrale de notre communication interne. Cela donne du sens et montre que les OKR ne sont pas une théorie, mais un levier d’action concret.
Comment intégrez-vous les OKR dans les rituels existants sans alourdir le travail des équipes ?
Calaivany Sachidhanandam : Nous avons cherché à fusionner les rituels OKR avec les réunions déjà existantes. Par exemple, une réunion trimestrielle peut commencer par un point OKR, parfois en raccourcissant la durée habituelle de la réunion.
Cela permet de redonner du tonus et une dynamique différente sans créer de surcouche de travail ou de réunions supplémentaires. Les équipes ont ainsi ajusté leurs agendas en fonction des priorités OKR.
Lionel Quenet : C’est en effet une bonne pratique de ne pas créer de nouveaux rituels mais d’intégrer les OKR dans ceux qui existent déjà. Cela évite la surcharge et facilite l’appropriation de la méthode par les collaborateurs.
Comment valorisez-vous les succès liés aux objectifs et résultats clés ?
Calaivany Sachidhanandam : Nous faisons régulièrement des rétrospectives, notamment à mi-année et en fin d’année, pour faire un bilan global des OKR : ce qui a fonctionné, ce qui a moins bien marché.
Nous sélectionnons un top 5 des OKR performants et récompensons les champions pour leur contribution en facilitation. Nous célébrons aussi les OKR qui ont été atteints plus rapidement que prévu, en mettant en avant les bonnes pratiques qui ont permis ce succès.
Lionel Quenet : Nous mettons en avant les succès dans nos outils de communication interne.
Lorsque des résultats transversaux sont atteints, nous les célébrons collectivement. Par exemple, les équipes RH se sont engagées à ouvrir une bouteille de champagne dès que trois OKR étaient validés.
C’est une manière de renforcer la motivation et de montrer que les OKR sont liés à des résultats concrets.
Assurer la cohérence et l’alignement des OKR
Comment vous assurez-vous que tous les managers ont des OKR cohérents, notamment en termes d’interdépendance ?
Lionel Quenet : C’est un des grands challenges, surtout dans un déploiement vertical comme le nôtre. Nous avons commencé par le haut de l’organisation et avons déployé progressivement vers le bas.
À un certain moment, il faut introduire de la transversalité. Pour cela, nous avons favorisé la transparence totale : chaque direction a accès aux OKR des autres pour identifier d’éventuelles incohérences.
Nos champions jouent un rôle de « candide » : ils posent les questions naïves pour alerter sur des incohérences et encouragent les équipes à collaborer pour s’aligner. Cette posture de faux naïf facilite les discussions et la mise en cohérence.
Calaivany Sachidhanandam : Nous avons utilisé un outil de cartographie des OKR accessible en temps réel, ce qui a permis aux collaborateurs de poser des questions et de faire des commentaires rapidement. Lorsqu’il y avait des OKR proches ou interdépendants, nous organisions des réunions d’alignement pour clarifier les responsabilités et éviter les blocages.
Quels outils spécifiques utilisez-vous pour piloter les OKR ?
Calaivany Sachidhanandam : Nous utilisions Viva Goals, un outil dédié qui facilitait la visibilité, le suivi et le reporting. Cependant, depuis que Viva Goals a disparu, nous sommes en train de réfléchir à une solution alternative, probablement plus simple, qui s’appuiera pour l’instant sur des fichiers Excel. Trouver un outil adapté est important pour voir l’architecture des OKR et faciliter le travail collaboratif.
Lionel Quenet : Nous utilisons principalement des fichiers Excel pour l’instant, ce qui n’est pas idéal. Nous recommandons vivement d’identifier rapidement un outil digital dédié pour piloter les OKR, afin de faciliter la consolidation, la transparence et la transversalité.
Défis et conseils pour bien démarrer avec les OKRs
Si vous deviez repartir à zéro, que referiez-vous et que feriez-vous différemment dans la mise en place des OKR ?
Calaivany Sachidhanandam :
Ce que je referais sans hésiter, c’est de mettre davantage en avant les OKR transverses plutôt que les OKR départementaux ou d’équipe. C’est une excellente façon de décloisonner et de favoriser la coopération entre métiers.
En revanche, je reformerais plus rapidement et plus intensément le comité de direction, qui s’est un peu essoufflé dans ses propres OKR, déléguant trop aux départements. Leur redonner une formation et une implication plus soutenue serait essentiel.
Lionel Quenet : Je referais à coup sûr l’intégration très forte des OKR dans les rituels de gestion de l’entreprise, dans les communications, dans les business reviews.
Il faut que les OKR deviennent une routine, pas une couche supplémentaire de travail. Ce que je ferais différemment, c’est de trouver plus rapidement un outil performant pour piloter les OKR. Nous souffrons encore aujourd’hui de l’absence d’un tel outil.
Quelle a été votre charge de travail au lancement et comment l’avez-vous gérée ?
Calaivany Sachidhanandam : Au début, la charge était énorme, à hauteur de 80 % de mon temps, car beaucoup de responsabilités reposaient sur moi : organisation des rituels, animation, préparation, analyse des check-ins et des rétrospectives.
Progressivement, j’ai fait comprendre qu’il fallait déléguer aux OKR champions, qui apportent une visibilité terrain précieuse et rendent les OKR plus pertinents.
Lionel Quenet : La phase initiale demande un investissement important. J’étais à environ 50 % de mon temps, avec un collaborateur à 80 %. La formation et l’animation des coordinateurs ont permis de répartir la charge.
Les OKR Champions sont-ils parfois perçus comme des gendarmes de la méthode ?
Lionel Quenet : Ce n’est pas vraiment le cas, c’est plutôt eux qui se posaient des barrières. Ils se demandaient s’ils avaient la légitimité pour challenger des comités ou des équipes hiérarchiquement supérieures.
Nous avons insisté sur le fait que leur rôle n’est pas de résoudre les problèmes, mais de poser les questions, d’être un catalyseur de discussion. Cette posture de candide les aide à se sentir légitimes et à faciliter les échanges sans être perçus comme des contrôleurs.
Calaivany Sachidhanandam : Globalement, ils n’ont jamais été perçus comme rigides. J’ai appris à leur faire adopter une posture flexible, à oser poser des questions et à challenger respectueusement les managers et membres du CODIR. Cela a pris un peu de temps, mais la démarche a été bien acceptée.

Conclusion : les clés pour faire vivre une communauté OKR
L’échange avec Lionel Quenet et Calaivany Sachidhanandam met en lumière plusieurs enseignements essentiels pour assurer la pérennité et l’efficacité d’une démarche OKR :
- Une impulsion forte de la part de la direction de l’entreprise
- Créer une vraie communauté OKR avec des rôles clairs (champions, pilotes, ambassadeurs) qui ne soient pas seulement symboliques mais actifs et reconnus.
- Ancrer les OKR dans les rituels existants pour éviter la surcharge et faciliter l’appropriation.
- Relier les OKR à des actions concrètes visibles de tous, que ce soit via des newsletters, des bilans ou des célébrations.
- Adopter une posture flexible sur la forme tout en restant rigoureux sur le fond, pour ne pas refroidir les équipes.
- Favoriser l’échange entre champions pour partager les bonnes pratiques et résoudre collectivement les obstacles.
- Ne pas chercher la perfection mais l’amélioration continue avec un apprentissage cycle après cycle.
Ces témoignages démontrent que la méthode OKR est un puissant levier d’engagement et d’alignement stratégique, à condition de bien structurer son déploiement et son animation dans la durée. La création d’une communauté OKR vivante et soutenue est une condition sine qua non pour transformer les bonnes intentions en résultats tangibles.
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