Dans le Retail, l’intelligence artificielle n’est plus un sujet d’expérimentation marginale, mais un enjeu concurrentiel majeur. Elle s’impose désormais comme un levier structurant de performance, de différenciation et de résilience, à condition d’être pensée comme une véritable transformation IA et non comme une succession de projets technologiques.
Pourtant, malgré des investissements croissants et une profusion de cas d’usage IA prometteurs, beaucoup d’enseignes peinent encore à transformer leurs initiatives en valeur durable. Les PoC se multiplient, mais le passage à l’échelle reste complexe, coûteux et parfois décevant.
Les échanges menés lors de deux tables rondes, animées pour Madyness par Raphaël Kattan, Directeur Général Associé de TalenCo, à l’occasion du NRF Europe et de Tech for Retail, apportent un éclairage précieux sur ce décalage.
Ces discussions ont réuni des acteurs particulièrement avancés du secteur du retail, parmi lesquels : ADEO, LVMH, REWE Digital, MC Sonae, Google Cloud et le BCG.
Ces témoignages mettent en évidence une réalité simple : la réussite d’une stratégie IA dans le retail repose moins sur la performance technologique des modèles que sur la capacité des organisations à maîtriser leurs données, faire évoluer leurs modes de fonctionnement, prioriser les bons usages et créer les bonnes conditions pour passer l’IA à l’échelle.
Priorité n°1 : des données solides et gouvernées, socle de l’intelligence artificielle générative pour la transformation des entreprises
A. Le socle indispensable : des données propres, accessibles et gouvernées
La première réalité mise en lumière lors des deux panels est évidente : l’IA ne vaut rien sans une donnée solide. Anika Vooes, Chief Acceleration Officer de REWE Digital, l’a formulé sans détour : « Shit in, shit out ». Impossible de déployer des cas d’usage IA robustes si la donnée d’entrée n’est pas maîtrisée.
Les expérimentations menées dans les magasins autonomes Pick&Go l’ont démontré très concrètement : chaque image-produit devait être parfaitement reliée à un identifiant unique. Une erreur, même minime, faisait s’effondrer tout le système.
Chez MC Sonae, l’expérience a été similaire. Rafael Pires rappelle que les premiers tests d’assistants virtuels, tels que ceux développés par Microsoft, ont montré une performance très variable selon la qualité documentaire fournie.
« Investir tôt dans la qualité et la gouvernance des données, sinon tout devient plus difficile ensuite ».
Même constat chez Google Cloud : sans data propre, accessible et documentée, l’IA ne peut pas délivrer.
B. Transparence, gouvernance et conformité : des prérequis non négociables
Au-delà de la qualité, la gouvernance et la transparence des données deviennent des standards incontournables, notamment avec l’arrivée de cadres réglementaires comme l’AI Act.
REWE Digital a fait le choix d’une transparence totale vis-à-vis des clients et des régulateurs : limitation stricte des zones filmées, renoncement à la reconnaissance faciale et explicabilité des usages. MC Sonae a, de son côté, structuré une équipe dédiée pour évaluer chaque outil IA sous l’angle réglementaire, éthique et sécurité.
Cette gouvernance n’est plus un frein à l’innovation : elle devient au contraire un levier pour impacter positivement les performances. un accélérateur de passage à l’échelle, en sécurisant les projets dès leur conception.
C. Les enjeux data / IA spécifiques au e-commerce et au retail
Dans le e-commerce et le retail omnicanal, les défis data sont amplifiés : explosion des volumes, hétérogénéité des sources (catalogues produits, avis clients, données comportementales, logistique, pricing), forte dépendance à des données tierces.
L’IA met en lumière des failles longtemps tolérées : fiches produits incomplètes, référentiels éclatés, données clients peu exploitables ou mal synchronisées entre canaux. À l’inverse, lorsqu’elles sont bien structurées, ces données deviennent un levier majeur pour personnaliser l’expérience, optimiser les stocks et améliorer la conversion.
Sans socle data robuste, la transformation IA dans le retail reste un empilement de PoC sans impact durable, limitant ainsi la compétitivité des entreprises.
Priorité n°2 : Une organisation acculturée à l’intelligence artificielle, clé de la transformation digitale de tous les métiers
A. L’IA n’est pas un projet technologique
Deuxième enseignement fort : l’IA n’est jamais un sujet purement technologique. Comme l’a rappelé François-Xavier Sallé, Partner au BCG, « dans une transformation IA, 70 % de l’effort n’est pas technique mais organisationnel ».
Les principales difficultés ne viennent pas des architectures, mais des processus non adaptés, de KPIs flous ou de la difficulté à faire adopter les outils par les équipes.
Chez LVMH, les applications IA dans le service client ont permis une réduction de 10 % du temps d’appel et un gain d’une minute par cas traité.
Mais Rodolphe Even (CTO-LVMH) le résume clairement : « Nous ne cherchons pas à remplacer l’humain, mais à amplifier l’expérience client ».
B. Sensibilisation, formation et acculturation à l’IA
REWE Digital illustre parfaitement cet enjeu avec son programme AI Discover Journey, qui a déjà touché plus de 17 000 collaborateurs de différents métiers. Objectif : démystifier l’IA, donner des repères concrets et aligner les initiatives avec la stratégie globale.
MC Sonae a choisi une approche pragmatique face au shadow AI. Plutôt que d’interdire, le groupe a officialisé les usages, sécurisé les outils et accompagné les équipes. « Transformer la méfiance en confiance a été le vrai point de bascule », explique Rafael Pires.
C. Adapter les processus pour absorber la valeur
Chez ADEO, Benjamin Rey résume le défi culturel : « Transformer, c’est canaliser l’énergie sans la bloquer ». L’IA ne crée de valeur que si les organisation sont capables d’absorber les gains de productivité dans leurs processus, ses rôles et ses modes de décision.
Une stratégie IA réussie repose sur des équipes formées, des processus adaptés et une gouvernance claire.
Priorité n°3 : des cas d’usage d’IA générative à fort impact stratégique et organisationnel
A. Les cas d’usages qui créent vraiment de la valeur
Les retours d’expérience sont sans ambiguïté : la valeur vient de cas d’usage ciblés, mesurés et industrialisables.
Chez ADEO, la détection automatisée des « ruptures cachées » a permis de diviser par trois le temps passé sur des comptages inutiles et de multiplier par 2,5 le nombre de ruptures détectées. Autre résultat marquant : la complétude du catalogue produit est passée de 27 % à 87 % grâce à l’IA générative.
LVMH démontre que même des gains unitaires modestes peuvent générer un ROI massif lorsqu’ils sont industrialisés à grande échelle : analyse automatique des appels, classification en temps réel et réponses contextualisées.
Le BCG rappelle d’ailleurs que 74 % du potentiel de valeur de l’IA dans le retail se situe dans les fonctions cœur de métier, où l’automatisation peut générer des gains significatifs. : supply chain, marketing, pricing et parcours client doivent tous bénéficier de cette révolution technologique pour rester compétitifs.
B. Le coût des modèles IA : une raison de plus pour faire le tri
Un point souvent sous-estimé est celui du coût réel des modèles IA. À Tech for Retail, Rodolphe Even souligne : « Presque tous nos partenaires sont venus avec un doublement du prix de leurs licences pour intégrer l’IA générative ».
Dans certains cas, les coûts peuvent être multipliés par dix. ADEO a donc mis en place une gateway IA pour router chaque usage vers le modèle le plus pertinent… ou le moins coûteux.
Cette pression économique renforce une évidence : tous les cas d’usage ne se valent pas. Prioriser devient un impératif stratégique.
C. Le futur du retail : augmenté, agentique et profondément humain
Les projets en cours dessinent un retail profondément transformé.
ADEO travaille sur un jumeau numérique complet de sa supply chain et sur une « IA commerçante » co-construite avec les vendeurs.
LVMH explore des outils immersifs et l’optimisation de sa chaîne amont pour maximiser la valeur ajoutée de chaque processus. Google imagine des agents autonomes capables de fluidifier le parcours client grâce à des données hyperlocales.
Rafael Pires résume l’ambition :
« Dans deux ans, l’IA doit être intégrée au cœur de tous nos process ».
Et Mitch Van Deursen d’ajouter avec humour : « J’espère que ce sera mon robot IA qui parlera à ma place pendant que je serai à la plage ».
De ces retours d’expériences et des deux tables-rondes, il ressort un message clair : le sujet n’est plus la technologie, mais la capacité des organisations à orchestrer leur transformation IA pour un retour sur investissement immédiat.
Scalabilité, gouvernance, responsabilité et transformation culturelle sont désormais les véritables facteurs de différenciation. L’IA deviendra un avantage durable uniquement si elle s’inscrit dans une vision stratégique, portée au plus haut niveau et exécutée avec rigueur.
FAQ – IA et transformation du retail
1. Pourquoi l’IA devient-elle stratégique pour le retail ?
Dans le retail, l’intelligence artificielle est devenue un levier clé pour améliorer la performance opérationnelle, répondre aux attentes des consommateurs et renforcer la compétitivité. Elle permet d’optimiser la supply chain, le pricing, le marketing et l’expérience client, à condition d’être intégrée dans une véritable stratégie de transformation IA et non comme une simple innovation technologique.
2. Quels sont les principaux cas d’usage de l’Intelligence Artificielle dans le retail aujourd’hui ?
Les cas d’usage IA et bonnes pratiques les plus créateurs de valeur dans le retail concernent la prévision de la demande, la détection des ruptures, l’enrichissement des catalogues produits, la personnalisation des parcours clients et l’assistance aux équipes terrain. Ces usages ont un impact direct sur le chiffre d’affaires, les coûts et la satisfaction client lorsqu’ils sont industrialisés.
3. Pourquoi la donnée est-elle un enjeu central pour réussir l’IA dans le retail ?
L’IA dans le retail repose sur des volumes de données importants et hétérogènes : produits, clients, stocks, logistique, omnicanal. Sans données fiables, gouvernées et accessibles, les modèles — y compris l’IA générative — produisent des résultats peu exploitables. La qualité et la gouvernance des données sont donc un prérequis indispensable à toute transformation IA.
4. Comment l’IA générative transforme-t-elle les métiers du retail ?
L’IA générative agit comme un accélérateur pour les équipes retail : elle automatise certaines tâches répétitives, améliore la productivité et aide à la prise de décision. Utilisée comme copilote, elle permet aux collaborateurs de se concentrer sur des activités à plus forte valeur ajoutée, notamment dans le service client, le merchandising ou le pilotage de la performance.
5. Quelles priorités pour réussir sa transformation IA dans le retail à l’horizon 2026 ?
Les retours d’expérience montrent trois priorités clés : construire un socle de données solide et gouverné, acculturer les équipes et adapter l’organisation, puis sélectionner des usages IA réellement stratégiques. C’est cette combinaison — et non la seule technologie — qui permet au retail de transformer l’IA en avantage durable.



